La nouvelle loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) prévoit de renforcer massivement les compétences en matière de prévention de l’Office fédéral de la police. Les notions présentes dans l’avant-projet ainsi que la marge de manœuvre dont dispose la police menacent les droits fondamentaux et les droits humains de la population suisse.
Non à la spéculation à la base des mesures de lutte!
Au cœur de la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme: la révision de la loi fédérale instituant des mesures visant le maintien de la sûreté intérieure (LMSI). L’avant-projet empiète sur les libertés civiles et de la personnalité, et utilise des notions juridiques floues, laissant aux autorités une très grande latitude en matière d’interprétation.
Selon cet avant-projet, une personne pourra être qualifiée de terroriste présumé·e si «des indices sérieux et actuels laissent présumer qu'une personne potentiellement dangereuse commettra un acte terroriste» (art. 23 al. 2 P-LMSI). Les compétences que ce projet de loi conférerait à la police ne se limiteraient pas seulement la détection et la poursuite d’infractions commises, mais concerneraient également l’aspect préventif.
Par activités terroristes sont désignées «des actions destinées à influencer ou à modifier l'ordre étatique et susceptibles d'être réalisées ou favorisées par des infractions graves, la menace de telles infractions ou la propagation de la crainte» (art. 23e al. 2 P-LMSI).
De simples présomptions et des spéculations sur les intentions et les actions futures des individus pourront constituer la base des mesures policières, sans que rien ne laisser présumer une infraction pénale. L’énoncé de la loi est loin de limiter la portée de ces spéculations aux individus qui préparent concrètement un attentat; les activistes climatiques en seront également les cibles, tout comme les individus portant un discours anticapitaliste ou d’extrême-droite.
L’avant-projet prévoit un champ d’application offrant un terreau propice aux abus ainsi qu’à la discrimination et comportant le risque que certains groupes de personnes fassent l’objet d’une suspicion généralisée du fait de leur origine ou de leurs opinions personnelles. Selon le principe de la légalité de la Constitution fédérale, l’Etat doit agir de manière conforme à la loi et être suffisamment clair et précis (principe de précision de la base légale). La très grande marge d’interprétation mise à disposition des autorités n’est pas conforme à la Constitution.
Non à l’atteinte à l’Etat de droit!
Les mesures mises à disposition de l’Office fédéral de la police face à la menace terroriste remettent en question les principes de base de l’Etat de droit, qui jouent un rôle primordial pour la protection effective des droits humains.
A la demande des services de renseignement et des autorités cantonales et communales, l’Office fédéral de la police peut ordonner des mesures telles que l’obligation de se présenter et de participer à des entretiens, les interdictions de contact, les assignations ou interdictions d’espaces, les interdictions de quitter le territoire, la surveillance électronique et la localisation des téléphones portables ainsi que les restrictions de voyage en dehors du territoire (art. 23k – 24c P-LMSI).
Le caractère préventif de ces mesures s’accompagne d’un retournement du fardeau de la preuve: la personne ciblée doit apporter la preuve qu’elle ne présente pas de danger potentiel, ce qui est impossible à fournir en pratique. Cette modalité pèse d’autant plus qu’à l’exception de l’assignation à résidence, aucune de ces mesures préventives n’est placée sous contrôle juridictionnel. L’Office fédéral de la police pourra déterminer seul quelle application de ces mesures est proportionnée dans une situation concrète.
De plus, il est à prévoir que la constitution d’éléments de preuve sera peu transparente si les cas sont basés sur des informations relevant du Service de renseignements de la Confédération.
Le retournement du fardeau de la preuve ainsi que le manque d’examen systématique de la proportionnalité par un tribunal indépendant que prévoit l’avant-projet minent les principes fondamentaux de l’Etat de droit, destinés à protéger de l’arbitraire des pouvoirs publics.
Non aux pleins pouvoirs violant les droits humains!
Les mesures de lutte prévues par le texte portent de graves atteintes aux droits humains et fondamentaux ancrés dans la Constitution et le droit international.
L’avant-projet permet concrètement à l’Office fédéral de la police de limiter drastiquement les libertés de mouvement et de circulation ainsi que de réunion au moyen d’assignations ou d’interdictions d’espaces. L’Etat pourra limiter les libertés personnelles constituant le cœur-même des droits fondamentaux en prononçant des interdictions de contact pour écarter le·la terroriste potentiel·le d’un environnement personnel potentiellement nuisible. Une famille entière pourrait donc être considérée comme suspecte et la sphère privée des membres ainsi que des autres habitant·e·s du foyer serait donc inévitablement atteinte.
L’utilisation de bracelets électroniques et de la localisation par téléphonie mobile représente également une violation de la sphère privée. Le risque est grand que l’Office fédéral de la police outrepasse le strict contrôle du respect de ces mesures et récolte des informations par ce moyen. Les mesures plus douces, telles que l’obligation de déclarer, relevant du domaine de la prévention, ne sont pas non plus sans risque. Les auteur·e·s devront subir des entretiens réguliers avec un·e représentant·e de l’Office fédéral de la police ou le Service de renseignement de la Confédération. Le danger que des informations soient obtenues par des tiers dans ce contexte est inadmissible dans un Etat de droit.
Pas de privation de liberté sans inculpation, procédure pénale ou condamnation!
Ces mesures policières vont même jusqu’à l’assignation à une propriété, ce qui représente une privation de liberté contraire aux droits humains. Les arrêts domiciliaires devraient être prononcés lorsque les autres mesures préventives ne peuvent pas être respectées ou que le·la terroriste potentiel·le «constitue une menace considérable pour la vie ou l'intégrité corporelle» (art. 23l P-LMSI). L’obligation de ne pas quitter une propriété pendant un certain temps constitue, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, une privation de liberté. L’assignation à résidence préventive doit répondre aux exigences relatives à la garde à vue menée par la police de sécurité découlant de la Constitution et des conventions en raison de l’absence de condamnation. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ne considère celle-ci recevable que lorsqu’elle présente un caractère non-répressif et que son accomplissement est directement imposé par une obligation légale (art. 5 al. 1 lit b. CEDH). Cependant, en tant que sanction destinée à punir les violations de règlements de la police, l'assignation à résidence ressemble plus à une peine de privation de liberté sans pour autant qu’il y ait d’accusation, d’ouverture de procédure pénale ou de condamnation.
En outre, on peut se demander dans quelle mesure l’assignation à résidence devrait contribuer à l'application d'autres mesures préventives, telles que l'obligation de participer à des entretiens ou une interdiction de contact.
Enfin, la garde à vue n'est autorisée que s'il existe une présomption justifiée de l'imminence d'une infraction majeure ou de la violation de biens de police, qui peut être déterminée en fonction du lieu, du moment et des éventuelles blessures (art. 5 al. 1 lit b. et c. CEDH).
Toutefois, le libellé du projet de loi permet également l'assignation à résidence quand l'expérience montre qu’il existe un risque général, sans pour autant qu’il y ait présomption qu’une personne commette concrètement une infraction grave.
En définitive, l'assignation à résidence semble constituer un moyen inadapté pour lutter d'une manière ou d'une autre contre les dangers considérables pour la vie et l'intégrité corporelle: si de tels dangers existent réellement, ils ne peuvent en aucun cas être évités en maintenant une personne assignée à résidence.
Protection inconditionnelle des droits de l'enfant!
Les limites d'âge fixées pour l’application de ces mesures préventives sont en contradiction avec le droit pénal suisse des mineur·e·s et les obligations de la Suisse en matière de droits humains en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant.
La Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure prévoit déjà l'assignation à résidence pour les personnes dès l'âge de 15 ans, tandis que les autres mesures préventives devraient être autorisées même pour les enfants à partir de 12 ans (art. 24f P-LMSI).
Selon la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant, l'enfant (toute personne n'ayant pas encore atteint l'âge de 18 ans) en conflit avec la loi doit être traité·e d’une manière qui favorise «son sens de la dignité et de la valeur personnelle», qui «renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui» et qui tienne compte de l’âge ainsi que de la nécessité de «faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci» (art. 40 al.1 CDE). En ratifiant la Convention relative aux droits de l'enfant, la Suisse s'est engagée à donner la priorité à la réinsertion sociale des enfants confronté·e·s au système judiciaire. En conséquence, le droit pénal suisse des mineur·e·s a déclaré que la «protection et l'éducation» des mineur·e·s est un principe (art. 2 al. 1 DPMin). En ce sens, les sanctions doivent fixer des limites, mais toujours comporter un effet éducatif.
Contrairement aux prescriptions en matière de droits humains, les mesures policières préventives entraînent la stigmatisation voire la criminalisation des jeunes. En raison de leur âge, ces individus n’ont souvent pas la capacité d'évaluer correctement les conséquences de leurs actes, or cet aspect devrait être pris en compte.
La contradiction juridique est encore aggravée par le fait que le projet de loi n'accorde pas de droits procéduraux spéciaux aux mineur·e·s faisant l'objet de mesures policières.
Bien que des instruments de prévention suffisants soient prévus dans le secteur éducatif et social, dans la protection de l’enfant et dans le droit pénal (des mineur·e·s), les droits humains des enfants et des jeunes seraient inconditionnellement restreints par la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme.